Toute émulsion nécessite une lumination minimum pour que les halogénures d’argent puissent être insolées. Cette quantité minimum est plus ou moins importante selon le niveau de sensibilité de l’émulsion et le traitement chimique appliqué. La sensibilité est mesurée en laboratoire selon une procédure normalisée (norme ISO). C’est la sensibilité nominale du film telle que nous la connaissons. Cette sensibilité ne correspond pas forcément à la sensibilité pratique du film sur le terrain et selon notre matériel. Plusieurs paramètres, de la prise de vue jusqu’au tirage final, influent : calage de la cellule du posemètre, de l’appareil, mode de développement du film, type d’agrandisseur… En outre, on peut volontairement décider d’employer une sensibilité différente de la sensibilité nominale ; soit en raison de conditions lumineuses qui nous obligent à « pousser » le film (donc à le sous-exposer), soit parce que l’on préfère retenir le film en l’exposant pour les ombres et en le développant pour les hautes lumières.
Autre caractéristique dont on peut s’assurer le contrôle dès la prise de vue : le contraste. Ce contraste résulte également de l’exposition (donc de la sensibilité pratique) et de la durée du développement (également du type de révélateur). Si l’on veut quitter le confortable négatif développé pour un gamma moyen (non de code sensitométrique du contraste d’un négatif) destiné à reproduire, sur un papier à grade moyen (grade 2, qui correspond généralement au grade des papiers à contraste variable utilisés sans aucun filtrage), une gamme de gris restituant un intervalle de 7 à 8 IL d’écart de lumination, il sera plus aisé d’y parvenir en jouant sur les paramètres de la prise de vue et du développement qu’au tirage. A titre d’exemple, un Mario Giacomelli ne développait ses négatifs de la même manière qu’un Ansels Adams.
Il est donc essentiel, à qui veut contrôler ses images, de déterminer la sensibilité pratique d’une émulsion, associée à un révélateur et un temps de développement, pour obtenir tel ou tel résultat.
Détermination de la sensibilité pratique
Comme nous aimons un certain parti pris, imaginons que nous souhaitons tester la magnifique Kodak Tri X, en 35mm, vendue pour 400 ISO.
Pour la sensibilité, il va falloir déterminer le point à compter duquel l’émulsion va commencer à décoller du noir total (c’est à dire sortir de la transparence du négatif). En sensitométrie, on estime que la transparence maximum (celle du voile de base) du négatif correspond au noir le plus dense qu’il puisse enregistrer. En Zone System, c’est la zone O (le blanc correspond à la zone X), située théoriquement 5 IL en dessous de la zone V (le gris 18%). La pellicule doit commencer à enregistrer de l’information à partir de la zone I (-4 IL). En 24×36, certains estiment que le point de départ correspond plutôt à la Zone II en raison de la moins grande latitude d’exposition d’un petit format.
Donc, appareil sur pied, en lumière naturelle, on photographie une surface légèrement texturée, uniformément éclairée (un mur au nord fait parfaitement l’affaire), dont la valeur est proche du gris 18%. On règle la cellule sur 400 ISO et prend la mesure. Puis on réalise plusieurs vues en sous exposant par valeurs entière de -5 à -2 IL. Ainsi, sera simulé la zone I pour une plage de sensibilité allant de 100 à 800 ISO. Entre chaque vue on intercale une vue vierge pour déterminer la zone O qui servira de référence. Par exemple, si la mesure de base donne 1/30s à f/11, on réalisera la série suivante :
Exposition | Vue vierge | 1/1000s f/11 | Vue vierge | 1/500s f/11 | Vue vierge | 1/250s f/11 | Vue vierge | 1/125s f/11 |
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IL | -5 IL | -4 IL | -3 IL | -2 IL | ||||
Zone | Zone O | Zone I | Zone O | Zone I | Zone O | Zone I | Zone O | Zone I |
Sensibilité | 800 ISO | 400 ISO | 200 ISO | 100 ISO |
On développe sur la base du temps standard de la Tri X. (Pour ne pas gaspiller toute la bobine, il suffit de confectionner un gabarit permettant de déterminer dans le noir la longueur de film à couper, correspondant aux 8 vues réalisées, amorce et petite marge de sécurité y comprise. Le restant de la pellicule servira ainsi pour les tests suivants.) On verra dans un second temps s’il convient de modifier ou pas cette durée. Il faut noter soigneusement pour chacune des vues les différents paramètres afin de s’y retrouver par la suite. Développement, en prenant soins de bien caler la température et sans rien changer à la façon d’agiter la cuve.
Le film étant sec et découpé en bande, direction l’agrandisseur, calé pour du 24×30, grade 2. Insérer dans le passe-vue une vue vierge. Le négatif est parfaitement transparent. La seule opacité correspond au voile de base du négatif qui diffère selon la pellicule et le traitement employé. La valeur d’un négatif transparent correspond au noir maximum qu’il pourra fournir. Le but de la manoeuvre est donc de déterminer, pour un type de papier, le temps de pose nécessaire pour restituer ce noir maximum. Pour ce faire, on expose une feuille de papier comme une bande test, par paliers de 3 secondes. On développe normalement son épreuve (c’est à dire à fond, 1 mn pour un support RC). Examen une fois sèche (les densités sont faussées sur un tirage humide) sous un bon éclairage (la lumière du jour est idéale). On se trouve en présence de tranches de densités différentes, débutant par un gris moyen là où la feuille n’a été exposée que 3 secondes, devenant de plus en plus denses pour finir par des noirs qui ne se distinguent plus les uns des autres. Quand on arrive à la première tranche dont la valeur de noir ne diffère pas de la tranche suivante, on a atteint la Dmax du papier. Le temps d’exposition correspondant à cette tranche est celle nécessaire pour obtenir cette Dmax pour ce papier avec ce négatif. Exposer plus longtemps ne servirait à rien d’autre qu’à perdre du détail dans les ombres.
On note ce temps (18 secondes par exemple), puis on tire toutes les vues tests réalisées sur la base de ce temps. Examen des épreuves une fois sèches, en ayant pris soin de repérer à quelle vues elles correspondent. La première des épreuves dont la valeur de noir diffère du noir de référence donne la sensibilité du film. Admettons que cela corresponde à la vue sous exposée de 3 IL, la sensibilité pratique de la Tri X, selon le processus de développement employé, est donc de 200 ISO.
Deuxième test, la durée de développement. Réglage de la sensibilité ISO à la sensibilité pratique que l’on vient de déterminer. Direction la surface uniformément éclairée. Faire une première vue en respectant la valeur affichée par le posemètre de l’appareil (correspond à la zone V), puis une deuxième en surexposant exactement de 4 IL (zone IX – dernier gris avant le blanc pur). Développement du bout de film selon le même temps que précédemment. Ensuite, on tire les deux vues, au même rapport d’agrandissement et avec la même durée que pour le test de détermination de la Dmax. On compare la vue correspondant à la zone V avec une charte de gris 18%. Les deux valeurs doivent être identique. Plus sombre, il manque de contraste ; il faudra refaire le test en augmentant la durée de développement de 10% environ. Plus clair, c’est l’inverse. La vue en zone IX (correspondant à la Zone V correctement développée) doit différer légèrement du blanc pur du papier. Idem que pour la zone V si elle trop sombre ou trop claire. En pratique, la modification de la durée de développement étant davantage active sur les hautes lumières que sur les basses, la sensibilité du film ne sera pas affectée de façon significative par ces éventuels ajustements.
Comme il doit demeurer un peu de pellicule au fond de notre bobine, on termine en faisant de véritables photographies, genre paysage, et quelques portraits pour finir. On développe selon le temps déterminé à l’issue des tests, puis on effectue les tirages toujours pour le temps correspondant à celui obtenu pour la Dmax. Normalement, si le temps d’exposition est bon, les tirages doivent présenter d’emblée un bon équilibre général des valeurs. Le seul travail devrait porter uniquement sur les zones des hautes lumières dont les luminations excédaient à la prise de vue les + 5 IL. Mais en tout état de cause, le travail du tirage sera grandement facilité. Si tel n’est pas le cas, hormis l’éventuelle nécessité d’ajuster le temps de développement, il faudra regarder plutôt du côté de la détermination de l’exposition… Avec ce petit test, on détermine le processus optimum pour l’obtention d’un négatif restituant une gamme complète de valeurs de gris comprises entre un beau noir situé à – 5 IL et un blanc pur voguant à + 5 IL. Situation idéale du tirage classique en noir et blanc, notamment selon les canons du Zone System.
Si l’on désire faire sauter les classiques et sortir des négatifs avec un contraste vigoureux, ce qui, en dehors de toute recherche esthétique, peut être d’un grand secours pour dynamiser un paysage un jour de lumière grise où l’on ne parvient à obtenir ni blanc ni noir, on connaît les principes ; plus se prolongera le développement et plus s’accroîtra le contraste, le tout associé à une augmentation apparente de la sensibilité du film. Par ailleurs, un révélateur vigoureux (type HC 110) sera préféré aux révélateurs standards (D76 ou X Tol). La détermination du seuil de sensibilité n’importera pas ici puisque c’est nous qui allons l’imposer. La référence sera donc non plus la Zone I mais la Zone V, le gris moyen. Et autour de cette zone pivot, il conviendra de mesurer l’étendue exacte des écarts de lumination que pourra restituer le négatif, celle-ci diminuant alors que le contraste augmente.
Test au mur, alternance de vues vierges et de vues pour la valeur d’exposition donnée par la cellule (Zone V). On développe un premier bout de film selon les temps connus (les chartes des fabricants sont une base de départ). Réalisation du tirage de la vue Zone V selon le principe énoncé plus haut (au temps nécessaire à l’obtention de la Dmax). Et idem que précédemment, ajustement du temps de développement, si besoin est, pour obtenir une vue en Zone V qui corresponde à la charte gris 18%.
Une fois déterminé, il nous faut voir comment réagit le film avec ce temps de développement. Retour au mur où l’on réalisera une série de 11 vues échelonnées entre – 5 IL et +5IL (la sixième sera celle correctement exposée). Finir la pellicule avec des sujets à valeurs moyennes, d’autres plus contrastés, et terminer par des portraits ; tout ça pour pouvoir juger du comportement de la pellicule autrement que sur un test de densité. Développement au temps déterminé par les premiers tests, tirage des vues toujours selon la même méthode.
Les 11 vues du mur donnent l’étendue des écarts de lumination que pourra restituer le négatif avec le traitement employé. Dans le cas d’un traitement un peu vif tel que proposé ici (genre Tri X à 1600 ISO dans de l’HC 110 en dilution B), il y a de grandes chances que le noir le plus profond intervienne dès -3 IL et que le dernier gris que l’on puisse discerner du blanc soit à +2 IL. Ce qui veut dire que le contraste sera extrêmement tranché ; quelques gris qui basculent très rapidement dans le noir ou le blanc. A la prise de vue il faudra être très précis avec une telle configuration afin de savoir quelles sont les parties du sujet qui seront hors latitude d’exposition. Mais pour dynamiser un sujet un peu plat, rien de tel (et bien plus efficace que d’augmenter de grade au tirage).
A contrario, pour le traitement d’un sujet très contrasté, on pourra procéder de façon inverse afin d’enregistrer au mieux les forts écarts de lumination ; diminution de la sensibilité du film (sur-exposition), réduction de la durée de développement, emploi d’un révélateur doux type Perceptol (pour ne pas faire de jaloux…).
Sans doute cela pourra paraître un peu fastidieux, mais quel plaisir par la suite que d’aborder un nouveau sujet photographique en choisissant dès le départ, parmi une abondante panoplie, les focales, le film et le traitement pour réaliser exactement les images que l’on porte en soi avant même que de les avoir vues.