Le tirage numérique noir et blanc, comment ça marche
Préliminaires
Lorsqu’un photographe réalise une oeuvre photographique, il est attentif à chaque étape, chaque produit. Il choisit avec soin son papier (RC/FB, mat/perlé/brillant, ton chaud/neutre/froid, etc…) et son révélateur (ton chaud / froid), voire même un virage (sélénium, sépia, etc…) en fonction de ses goûts, du sujet et de l’usage réservé au tirage. Là, je ne vous apprends rien. En numérique, le processus de création du tirage est différent (concrètement, c’est une impression jet d’encre sur papier), mais on retrouve aussi cette notion de choix dans la démarche, les matériaux, les encres, etc… pour obtenir LE tirage souhaité.
Le choix « matière » (le papier lui-même, sa matière, sa texture) est aujourd’hui similaire à l’argentique, l’offre vaste, on ne va pas s’y attarder dans cet article. En revanche, en ce qui concerne les encres, c’est une autre histoire.
Quelques constatations:
- 1. Contrairement aux papiers photosensibles, les papiers photo pour impression jet d’encre ne contiennent pas de « chimie »: c’est en effet l’encre qui sera déposée dessus qui fera l’image.
- 2. Tout comme les papiers photosensibles, les papiers photo ont des caractéristiques tonales propres (pour faire simple: leur couleur de fond, le « blanc », et leur façon de renvoyer la couleur des encres déposées dessus par la suite, induisant des dominantes plus ou moins marquées).
- 3. les encres ont, un peu à la manière des révélateurs papier, leurs caractéristiques colorimétriques propres.
La tonalité obtenue va donc être le résultat d’une subtile collaboration entre le papier et les encres, le tout « manipulé » par le tireur via des outils informatiques (réglages, profils, pilotes d’impression, etc…). Dans l’esprit, on retrouve le couple papier/révélo avec ses paramètres habituels: température, dilution, temps….
Partant du fichier image (film scanné), il y a deux méthodes assez distinctes pour arriver au résultat voulu: la méthode « Couleur », et la méthode « Noir et Blanc ».
La méthode « couleur »
e l’appelle ainsi car on travaille sur un fichier couleur (RVB), et avec une impression à base d’encres couleurs (en général, le kit standard de l’imprimante: K/C/LC/Y/M/LM pour une imprimante à 6 cartouches comme l’Epson SP 1400, par exemple). Le principe est simple: le fichier affiché à l’écran se veut fidèle à ce qui sera imprimé. En d’autres thermes on prépare une image en couleur, tout simplement (Dans la langue d’outre-Manche: WYSIWYG, what you see is what you get).
Toute l’interprétation se joue donc sur le fichier, et l’impression doit être conforme. Ceci nécessite bien sûr d’avoir étalonné son matériel et d’utiliser les profils de couleur (ICC et autres) correspondant au papier utilisé. Les logiciels s’occupent de tout afin que le tirage corresponde à l’image affichée à l’écran.
Avantage cette méthode: elle est techniquement assez accessible car c’est celle qui est privilégiée commercialement par les fabricants d’imprimantes et de papier. Un tel « labo numérique » est donc facile à mettre en service (je ne parle pas du prix, soyons clairs!!). Avantage supplémentaire pour les coloristes: un tel système d’impression fait aussi bien de la couleur que du noir et blanc.
En revanche, pour les habitués du labo, c’est une démarche nouvelle. Passer d’un tirage chaud à un tirage bleu demande de refaire un traitement complet du fichier, par exemple. Autre effet pouvant rebuter les aficionados de la lampe rouge: en y regardant de très très près (à la loupe), on se rend compte que c’est une image composite (on voit les petits points noirs/cyan/magenta/jaunes).
La méthode « noir et blanc »
Cette fois, on travaille sur un fichier en niveaux de gris, et l’impression se fait avec des encres spéciales dédiées au noir et blanc. L’image n’est donc plus composite, mais réellement monochrome. Les pigments de ces encres sont fabriqués à partir de carbone. En pratique, on remplace les cartouches de couleur dans les imprimantes par des cartouches contenant l’encre carbone à différentes dilutions pour assurer une gamme de gris très étendue et une excellente maîtrise des HL (pas de « points » épars, mais de vrais nuances dégradées). La tonalité du tirage dépendra donc du papier et de sa « réaction » avec les encres, et non du fichier image.
Remarque: c’est un procédé alternatif: il n’est pas proposé par le marketing officiel des fabricants d’imprimantes. Les kits d’encres carbone ainsi que les pilotes d’impression et les profils, tout est proposé par de petites sociétés (comparées aux majors de l’impression) et des passionnés du sujet. Autre point à noter: cette solution « custom » est aujourd’hui limitée aux imprimantes Epson. Les puristes considèrent (avec arguments à l’appui) que seuls les tirages réalisés ainsi sont considérés comme tirages d’archive.
Pour revenir à la tonalité, elle va dépendre, pour un papier donné, du choix du kit d’encres et de la façon de l’utiliser. On entend par « kit » l’ensemble des encres qui remplacent les encres couleur d’origine. Les encres pur carbone n’offrent pas un large spectre, on s’en doute: selon la façon de l’utiliser et selon les papiers, on va du neutre/chaud à franchement brun/sépia. Afin d’assouplir leur usage, on trouve des encres carbone avec des pigments complémentaires visant à les neutraliser voire les rendre froides. Ceci ouvre un panel de possibilités assez large: on trouve sur le marché des kits pur carbone à tonalité fixe, des kits à tonalité variable avec uniquement des encres carbone+pigment complémentaire, et également des kits un peu intermédiaires comprenant majoritairement des encres pur carbone avec une ou plusieurs encres « froides » pour assurer la variation de tonalité. Pire: les plus passionnés peuvent même créer leur propre kit! Un topo plus détaillé sera rédigé sur le sujet des encres, car on pourrait en écrire des livres…
On le voit, cette méthode est beaucoup plus proche de la démarche artisanale de l’argentique: on travaille d’abord sa photo, on choisit ensuite le couple papier/encre (similaire au couple papier/révélo) pour obtenir le tirage voulu. Ce n’est plus du WYSIWYG, et il faut mettre les mains dans le cambouis en ce qui concerne les encres: les gris ne sont plus un mélange de C/M/J/N, mais bien issus d’une encre grise. La technique est d’une approche plus difficile, mais elle se montre néanmoins extrêmement précise et rigoureuse.
Pour les sensibles à l’environnement, cette méthode est également plus satisfaisante car on ne change pas les cartouches: on les remplit à partir d’encre en bouteille. On peut noter au passage que les imprimantes équipées d’encres grises dans le kit d’origine (les K3 chez Epson, par exemple) peuvent être utilisées avec cette méthode, pour peu qu’on utilise le pilote RIP adéquat.
Black only?
Ceux qui ont déjà parcouru le net en quête d’informations sur l’impression noir et blanc ont rencontré ce terme, souvent abrégé BO. Il s’agit d’une version simplifiée de la méthode noir et blanc: on imprime avec une seule cartouche, la noire. Cette méthode a un avantage non négligeable: on peut la mettre en place à peu de frais puisque toute imprimante possède une cartouche noire! On obtient certes pas la finesse des encres diluées dans les HL, mais on arrive, avec de bonnes imprimantes, à des résultats assez bluffants.
Cette technique permet aussi de mettre à profit une particularité des encres carbone: leur tonalité change avec la dilution (elle sont plus chaudes). On obtient donc, en mode BO, des tirages plus neutres.
Durée de vie
Jusqu’à il y a quelques années, la grosse faiblesse des impressions jet d’encre était la durée de vie: face aux différentes agressions environnementales (lumière, air, etc…), les encre n’étaient pas stables et perdaient de leur éclat, voire changeaient carrément de couleur. Aujourd’hui les matériels haut de gamme sont beaucoup plus durables, et un tirage peut rester stable TRES longtemps. On notera cependant que les encres pur carbone sont encore meilleures que les encres couleur: les pigments à base de carbone résistent à tout…
Conclusion: quelle solution prendre?
Soyons francs: les deux techniques donnent d’excellents résultats pour peu qu’on s’y mette sérieusement. La méthode couleur est poussée par les fabricants, certains ayant même créé des labels de qualité pour en signifier la qualité (« Digigraphie » chez Epson).
La solution noir et blanc s’adresse à ceux qui font uniquement (ou principalement) du NB, qui veulent garder une démarche artisanale, proche de l’argentique, tout en visant une qualité au top. Elle est plus exigeante techniquement, plus contraignante aussi (tous les papiers ne peuvent pas être utilisés facilement). En revanche elle donne plus de liberté dans la démarche. On est aussi moins centré sur le logiciel de retouche!
Dernier point: les encres pur carbone ne sont pas étudiées pour tenir sur des papiers brillants. Les puristes du tirage fine art « archive » soutiennent que seuls les papiers mats garantissent une durabilité et une stabilité maximum, ce qui semble vrai si on juge les résultats des tests. Néanmoins, il existe des solutions pour imprimer sur papier brillant, notamment des bombes de vernis de fixage, comme le Lumijet d’Hahnemühle.
Personnellement j’ai choisi la méthode noir et blanc. Une imprimante Epson SP 1400 équipée d’un kit Eboni 1400 créé par P. Roark: 5 encres carbone à dilutions variées (encres Eboni de chez MIS) et une encre noire supplémentaire plus froide pour gérer les tonalités (UT14 de chez MIS). J’imprime sur des Papier Hahnemühle PhotoRag et Bamboo. Cette solution n’est pas hors de prix, et les résultats sont excellents.